• Des queues de cerises

    Un après-midi d’été Louise feuilletait les pages de son herbier, les lissant de la main, les caressant, assise sous le cerisier. Son père, grimpé sur une échelle, remplissait le panier en sifflant. Quand il est venu s’asseoir près d’elle, les mains croisées dans le dos, il lui a dit « quelle main? », « celle là », elle a répondu en montrant du doigt la main droite.

    Il en a sorti deux cerises attachées ensemble par deux queues. Il a passé une mèche de cheveux derrière l’oreille de Louise, y a accroché la jolie boucle, puis a ouvert l’autre main et a pendu la seconde. Attrapant une poignée de cerises, il a dit à sa fille « tu es très belle mon petit coeur, ouvre la bouche. » Elle a ricané, a ouvert la bouche, et a écrasé entre ses dents le fruit sucré et juteux laissant échapper une perle de rouge sang au coin de ses lèvres. 

     

    En tortillant la queue de cerise entre ses doigts, mon grand-père a déterminé l’avenir de ma mère. 

     

    « Tu te rends compte, ma Louise, ce petit truc, infusé en tisane, aide les dames qui ont trop d’eau dans les guiboles à faire pipi » lui dit-il l’air toujours aussi surpris par les mystères de la nature.

    « C’est vrai? » demanda Louise. 

    « Est-ce que je t’ai déjà raconté des blagues? »

    Louise tenta de comprendre par quel circuit la queue de cerise pouvait s’introduire dans les jambes, y absorber l’eau en trop et l’évacuer. L’information était de la plus haute importance, certes, mais il lui fallait des explications. 

    Dès ce jour, herbier sous le bras, ma mère passait chaque heure libre à la bibliothèque à la recherche cette fois des vertus de ses plantes. Le nom seul, en français et en latin ne suffisait plus, elle complétait soigneusement chaque page en inscrivant les indications, les doses, les modes d’administration. Elle rentrait, satisfaite de sa collecte, avec désormais la certitude qu’elle deviendrait quand elle serait grande une « soigneuse naturelle ». En attendant, elle avait consacré une page de son livre à la queue de cerise, collée au milieu d’un cadre tracé à la règle, et s’était appliquée, très fière, à inscrire au dessous « Propriétés diurétiques », et entre parenthèses (trop d’eau dans les guiboles).

     

    Un destin tient parfois à des queues de cerise.

     

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  • à moi avant d'être à Proust

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  • Alors voilà...

    Parfois, un humain touche un autre humain. Il le fait pour soigner, au pire pour traiter, au mieux pour guérir.

    Parfois, dans un univers aseptisé où le temps est compté, où les soignants ne font que passer, parfois un lion surgit et raconte des histoires. Maintenir encore un peu la vie. La retenir avec des histoires à dormir debout, des histoires de tous les jours à l’hôpital. Et l’humain s’accroche aux histoires du Docteur lion, lui dit qu’il a eu raison de vouloir un jour être docteur. Parce les fluides du corps, les abcès, les plaies, la merde, ce n’est pas sale. Rien de l’humain physique ne le dégoute.

     

    Notre mécanique parfaite est un tube, il nous le dit le Docteur lion, mais ce tube ne navigue pas au milieu de rien. Et quand il a soigné les plaies, quand il a vidé un intestin encombré, tout en laissant croire à son patient que son honneur est sauf, quand il a suturé, rassuré, plâtré, quand il a introduit ses mains là où personne ne voudrait les mettre, même s’il s’agissait de sa propre mère, il s’assit au bord du lit et raconte des histoires. Il est au bord de ses patients, comme on est au bord d’une falaise, il sait que la chute est là mais il retient aussi fort qu’il le peut en racontant la vie.

    Et puis il laisse glisser la main quand la vie devient plus sordide que la mort, il lâche en disant merci, au revoir.

     

    Si un jour je dois être malade, je voudrais que ce docteur-là me raconte des histoires, j’en ai pas mal à lui raconter aussi. Baptiste, ne devenez jamais un vieux con de médecin suffisant et blasé, ok?

    Alors voilà...

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  • Ou comment j’ai écrit un roman au milieu d’une forêt, sans internet et à poil.

     

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  • Coma

    Je n'ai jamais passé autant de temps immobile. Jamais je n'avais pris le temps de contempler autant. Finalement, elle m'a forcé à rester en place, à cesser de courir et à la regarder, à regarder les choses, le ciel, les gens, la vie, à la vouloir simplement vivante et dans ce monde, à souhaiter que celui qu'elle côtoie en ce moment soit moins beau que le mien et qu'elle en revienne.

    Entendre les feuilles sèches craquer sous nos pieds, la regarder remonter son col, le bout de son nez rosir, c'est incroyable comme la vie est rose. Elle a la couleur du sang rouge filtré par les tissus. Elle colore les joues des timides, elle dit parfois la colère, le chaud, le froid, la tristesse, la joie. Le sang sous la peau, le rose, c'est la preuve de la vie.

    Mathilde est blanche, un peu bleue sous les yeux, un peu transparente, le sang circule à l'intérieur de son corps puisque son cœur le propulse encore, mais il ne fait que passer.

    Au début, je lui parlais beaucoup. Sans doute parce que je ne croyais pas vraiment qu'elle puisse m'entendre. C'était un peu comme parler à une personne endormie profondément. On chuchote, on espère qu'elle n'ouvre pas les yeux et que l'on ne se retrouve pas comme un con devant la dormeuse se redressant sur ses coudes, le regard engourdi, interrogateur… «  hein ? qu'est-ce que tu disais ? »

    Comme j'étais certain qu'elle allait ouvrir les yeux d'un moment à l'autre, je faisais des phrases courtes en lui caressant le front, en dégageant ses longs cheveux tout lisses sur le côté, je la rassurais, je lui disais que j'avais tout compris désormais, qu'elle pouvait revenir tranquille.

    Quelquefois, son petit doigt a bougé. Je reculais d'un pas, observais son réveil qui allait arriver, là, tout de suite. Je cherchais un mouvement de ces cils. Et puis plus rien. Sur la table de nuit, j'ai posé une photo de nous deux. C'était il y a un an je crois. C'était avant en tout cas. Quand elle était encore mon amoureuse à moi tout seul, quand elle riait, qu'elle disait que le passé on s'en fout, que l'avenir avec moi c'est tout ce qu'elle voulait.

    Et qu'elle me ferait des enfants. Deux, ça serait bien, deux.

    Aujourd'hui, Mathilde, je suis venu pour te dire que je ne vais plus te parler. Je me suis organisé, j'ai pris deux semaines de congés, je vais arrêter de courir, je vais me poser près de toi, pas en pointillés comme depuis que tu es là, pas avant ou après le bureau, je ne vais plus faire semblant d'être admirable de courage face à ta partance, je ne vais plus donner l'exemple à mes collaborateurs, je vais m'écrouler pour de bon, je vais partager avec toi cette chambre, m'installer dans ce fauteuil chaque jour et faire ce que tu m'as tant demandé.

    Tu vois, j'ai pris mon ordinateur, je vais le poser là, sur la table à roulettes qui devrait servir à poser tes repas mais qui reste vide, inutile, puisque ta nourriture passe par des tuyaux. Je vais m'asseoir près de toi, te regarder, regarder les arbres à travers la fenêtre, ouvrir l'ordinateur et t'écrire.

    Tu voulais, tu réclamais une trace, quelque chose de moi qui te resterait, des mots, tu voulais des mots écrits, des preuves. Je te répondais, presque agacé, que j'étais bien meilleur orateur qu'écrivain, qu'écrire c'était ton truc, pas le mien, et tu me renvoyais dans mes buts comme tu sais si bien le faire. Tu ne me demandais pas de t'écrire un roman, tu voulais juste mes mots.

    Je vais te les donner, j'en ai plein.

    Je vais te rejoindre dans ton univers, aller t'y chercher, je ferai de mon mieux pour t'enjôler, nous allons jouer sur ton terrain, tu es la plus forte, ce sera à toi de me guider.

    Écoute les touches du clavier, Mathilde, et écoute le bruit de la machine qui te fait respirer. Tu as le choix.

    Tu restes du côté de la machine, ou tu m'accompagnes, tu m'encourages, tu m'engueules, tu te fous de moi ou tu es émue, tu me poses des questions, même les plus dérangeantes, tu t'offusques, tu me contredis, tu pleures, tu ris, tu as tous les droits.

    Je vais pianoter jusqu'à ce que tu prennes ta décision.

    Ce n'est pas du désespoir, Mathilde. Je suis soulagé. Je prends du temps pour nous. Nous partons ensemble dans l'immobilité, dans le silence, un temps mort plein de vie. La tienne, la mienne. Je te regarde pour la première fois sans aucun désir charnel, je ne vois plus cette femme belle que tu continues d'être, je ne vois plus que toi et c'est à toi que je vais écrire.

     
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